Travailleurs de l’ombre

Travailleurs de l’ombre                                      Image : (c)Leozhukov.ru - Climbing Federation of Russia - Moscou 2020 - qualification bloc - Grimpeurs : Simon Lorenzi et Nicolas Collin, de dos :  Ludovic Laurence, Arius Thiry et Marco Jubes

Déjà deux médailles d’argent pour nos jeunes athlètes au championnat d’Europe d’escalade à Moscou cette semaine. Après Chloé Caulier en bloc lundi, c’était au tour de Nicolas Collin de s’illustrer en difficulté ce mercredi soir. Des grimpeurs particulièrement en forme grâce à des entraînements spécifiques ainsi qu’à l’attention et aux soins qui leurs sont prodigués par une équipe de professionnels.


Rencontre avec Arius THIRY, kinésithérapeute du sport et thérapeute manuel

 

C’est en visioconférence ce jeudi depuis Moscou qu’Arius a levé le voile sur une partie des coulisses de la grimpe de haut niveau. Passionné de sport en général, il a travaillé avec des sportifs de plusieurs disciplines, notamment le hockey. Il accompagne en ce moment la délégation belge en compétition internationale en Russie.

Les bonnes personnes, au bon moment

Depuis quelques années, l’escalade est un sport en pleine expansion et, avec son arrivée aux JO annoncée en 2016, il était important pour la fédération de donner toutes leurs chances aux athlètes en leur assurant un encadrement professionnel de qualité. Arius se souvient : « J’ai rencontré Chloé (Caulier) et Loïc (Timmermans)  il y a quelques années par l’intermédiaire de Christophe Depotter (Stone Age, Bruxelles) et de mon collègue chez Moovia, Olivier Verraver ». Il a alors saisi la chance qui se présentait de pouvoir démontrer la pertinence de l’accompagnement par un staff de professionnels du sport dans la préparation physique des jeunes athlètes. « On nous laissait la possibilité d’être là, à nous de montrer qu’on pouvait leur apporter quelque chose… Je pense que ça ne se passe pas mal au vu des résultats. »

Suivi au long cours et ponctuel

Arius travaille avec les athlètes du CAB depuis trois ans, d’abord avec les juniors et maintenant avec les seniors, au sein d’une équipe de praticiens. Cette année 2020 a été pauvre en compétitions. Néanmoins, le thérapeute a suivi les entrainements des jeunes et les a régulièrement rencontrés pour les préparer à ces championnats. Pouvoir les accompagner en compétition, c’est pouvoir se rendre compte de l’enjeu des entrainements, soigner les athlètes directement sur place, les aider à récupérer. « J’aime analyser, voir pourquoi les gens se blessent, pouvoir les aider. » Cela permet également d’avoir un autre regard sur la compréhension des mouvements et ce qu’ils engagent. « Entre entendre un athlète décrire un mouvement qui lui a provoqué une douleur et le voir, c’est vraiment différent. On perçoit aussi mieux la fatigue, le stress, les émotions. » Au niveau relationnel, être présent en compétition stimule l’esprit d’équipe : « On vit ensemble au quotidien, c’est autre chose que se voir une ou deux fois par semaine. Ça crée une cohésion d’équipe vraiment chouette, tant avec les athlètes qu’avec les coaches. »

 Journée type à Moscou

Le réveil sonne à 6 h 30 et, après un petit-déjeuner avec les athlètes et les coaches, Marco Jubes et Ludovic Laurence, l’équipe rejoint le site de la compétition. « L’infrastructure est impressionnante, c’est très grand, un énorme complexe. » Pour le kiné, la journée s’annonce longue et empreinte de rythmes variés : elle sera ponctuée de moments d’attente et de moments forts et intenses. D’abord, il y a les échauffements, auxquels Arius assiste. Ensuite, il travaille à la carte avec chaque athlète en fonction des besoins spécifiques de chacun. La compétition commence. En général, il les accompagne en isolement, un moment privilégié : « La relation avec le kiné est différente de celle avec le coach. Les athlètes se livrent, il y a un aspect un peu psy au-delà du physique. » À Moscou, au vu de la situation sanitaire, les kinés sont cependant rassemblés dans une pièce à l’écart pour réduire le nombre de personnes en isolement. Ce qui leur permet aussi d’échanger entre eux. Ensuite, il les observe grimper, sauf s’il s’occupe d’un autre athlète. Dès qu’un athlète descend du mur, place à la récup active pour réduire au maximum les effets de la grimpe et lui permettre d’être prêt à regrimper quelques heures plus tard. Retour à l’hôtel, le soir, pour manger et, ensuite, travailler encore la récupération de façon un peu plus approfondie. Déjà, il est minuit et demi.

Objectif performance

En compétition, les petites blessures inhérentes au sport et à l’effort musculaire important sont inévitables. « Cela n’empêche pas de grimper, il faut éviter que ça empire et on travaille pour en rester à ce niveau-là. » Éviter les sur-blessures est en effet primordial et il faut parfois prendre des décisions concertées en vue de préserver physiquement les athlètes, comme la non-participation à la demi-finale de difficulté pour Chloé.  « Je travaille avec les athlètes en fonction de leur charge de travail et de la demande au niveau des blessures. Chloé, Nicolas et Simon vont tous bien. Nico, avec le combat qu’il donne est un peu plus fracasse [rire] mais tout va bien. Cette année a été difficile pour eux, ça s’est senti : ça leur fait du bien d’être là, ils ont envie de grimper, envie d’en découdre, ils s’amusent et font des résultats. La beauté de ce sport, ce sont les émotions, car ils se donnent à 100 %, il n’y a pas de contrôle là-dessus ! »

Stéphanie Grevesse, CAB